Interview « Les enfants d’Alice » : comment donner une deuxième vie commerciale aux invendus ?

21/03/22Développement durable

François Bernard

La loi AGEC interdit la destruction des invendus. Pour les écouler, les metteurs en marché recours traditionnellement à 2 solutions : soit la vente à des soldeurs ou « discounters », soit le don à des associations caritatives reconnues d’utilité publique, lequel donne droit à un avantage fiscal. « Les enfants d’Alice » offre désormais aux producteurs et aux distributeurs une 3è voie ! François Bernard, co-gérant d’Alicecoop, coopérative d’accompagnement de projets d’économie sociale et solidaire située du côté de Avre et Iton, dans l’Eure, nous en dit davantage.

– Vous êtes considérés comme poursuivant une utilité sociale. Pourtant, vous n’êtes pas une association. Pouvez-vous nous présenter « Les enfants d’Alice » ?

« Les enfants d’Alice » est une société commerciale mais une société coopérative d’intérêt collectif ou d’utilité sociale (Scic). Nous avons pour ambition de réconcilier 2 univers, celui du commerce et celui de l’économie sociale et solidaire (ESS), en nous fondant sur plusieurs objectifs de la loi AGEC : arrêter de détruire, notre planète ayant des ressources limitées, préserver les emplois créés par le commerce et développer des activités de l’économie sociale et solidaire sur des territoires ruraux, éloignés des points de vente.

Ainsi, en phase avec la volonté d’Olivia Grégoire, secrétaire d’État auprès du ministre de l’Économie, des Finances et de la Relance, nous construisons des passerelles entre la filière ESS et les entreprises traditionnelles en réunissant toutes les parties prenantes : les associations, les mouvements d’éducation, les élus locaux, les marques, etc.

Nous avons à cœur de démontrer à ces différents acteurs que nous sommes en capacité de donner une deuxième vie commerciale aux invendus, au sein même de nos territoires ! Alors que les associations et les soldeurs traditionnels sont complètement saturés, ne parvenant plus à écouler leurs stocks sur le marché français ou européen et devant les exporter vers l’Afrique, au risque de les voir finir dans des décharges à ciel ouvert, le « local » est un argument qui porte !

Au-delà de leurs réflexions éthiques autour du devenir des textiles d’habillement, des marques autour de la table ont pris conscience qu’elles ne parvenaient pas à atteindre certaines populations qu’elles pensaient pourtant toucher grâce à l’ampleur de leurs réseaux commerciaux. Or, en nous adressant à une clientèle éloignée des zones de chalandise, qui a difficilement accès aux magasins physiques, nous élargissons le marché des enseignes : les nouveaux acheteurs touchés via nos actions se tournent ensuite vers les sites e-commerce de nos partenaires pour commander leurs vêtements !

Tape à l’œil et, plus globalement, le groupe Mulliez, intéressés par notre projet, se sont engagés dans l’aventure pour expérimenter une nouvelle manière de valoriser les articles en bout de chaîne.

Notre but étant de réenclencher une dynamique économique globale, il est important de souligner que les ventes sociales que nous organisons à partir des invendus textiles sont réalisées par des personnes en difficultés en cours de réinsertion.

Parmi ces personnes, nous retrouvons d’anciens soldeurs, reconvertis en soldeurs solidaires et… ambassadeurs des marques ! Les femmes solidaires sont une autre composante du réseau des enfants d’Alice. Elles réalisent des ventes à domicile. Il y a également le tiers lieu (« tiers » comme un tiers de social, un tiers de commercial et un tiers de culturel !) où se trouve la boutique solidaire. Là-bas se déroulent des distributions de produits à des gens dans la précarité.

– Vous évoquez TAO. Concrètement, comment travaillez-vous avec les enseignes ?

Les enseignes peuvent soit nous faire un don classique, puisque « Les enfants d’Alice » est agréé, soit nous vendre leurs marchandises, ce qui crée une chaîne de valeur qui offre la possibilité de récupérer un peu de trésorerie pour la Recherche et Développement, tout en permettant à des gens de s’habiller à des prix réduits.

« Les gens qui n’ont pas beaucoup de moyens ont envie d’être comme tout le monde : de s’habiller, et même d’être à la mode ! »

Par ailleurs, le terrain est sans doute le meilleur moyen de donner de la réalité à la responsabilité sociale des entreprises, nos actions prouvant, sûrement mieux que n’importe quelle pleine page dans un grand quotidien, que la RSE n’est pas un concept abstrait. Sur le plan économique, sociétal et environnemental, les entreprises peuvent agir très concrètement !

De plus, nos ventes solidaires déclenchent souvent chez les jeunes consommateurs en quête de sens d’autres achats sur les plateformes de seconde main des enseignes engagées à nos côtés. Ainsi, nous participons à accroître la notoriété et l’omnicanalité des enseignes, contrairement aux soldeurs traditionnels, qui peuvent même dévaloriser l’image des marques et les concurrencer en étant implantés dans les mêmes quartiers des centres-villes ou de la périphérie.

– Avez-vous d’autres projets en cours ?

Notre ambition étant d’introduire de la vertu commerciale là où l’on a besoin de travail et d’un accès à une offre vestimentaire, et où l’on est proche de la nature, nous regardons du côté de la seconde main.

Par ailleurs, nous envisageons de monter une filière réutilisant les fils des textiles devenus importables afin de fabriquer de nouveaux vêtements.

Avec la Covid-19, notamment, qui a engendré une augmentation des invendus rendant le problème de leur gestion encore plus sensible, notre réseau gagne chaque jour en légitimité !

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